Sans flèches, ni plumes : un regard intimiste des indiens d’Amazonie

Stéphen Rostain
Stéphen Rostain, directeur de recherche au CNRS, laboratoire « Archéologie des Amériques ».

Le regard occidental sur les sociétés autochtones amazoniennes se contente souvent du chasseur avec son arc bandé à l’affût de son gibier ou des réunions rituelles d’individus peinturlurés et emplumés. Pourtant, les superbes parures de plumes colorées sont la majorité du temps soigneusement entreposées à l’abri dans des paniers hermétiques, tout comme les flèches sont gardées sous le toit de palmes tressées des maisons. Bien d’autres activités, moins spectaculaires, se déroulent au cours d’une journée tropicale.

On ne peut donc qu’être ému à parcourir ces magnifiques photographies qui témoignent du quotidien des premiers habitants de la forêt. Ce sont des femmes qui mettent le feu à leur futur champ pour fertiliser le sol, des hommes en équilibre sur un frêle échafaudage qui abattent les contreforts d’un puissant géant sylvicole, des enfants enjoués qui se faufilent entre les jambes des adultes affairés. D’autres clichés montrent de touchants gestes de tendresse ou de délicates séances de peintures corporelles élaborées. La banalité des gestes amplifie l’émotion de ces moments volés.

Joie, surprise, concentration, perplexité, curiosité, chaque photographie rend compte de sentiments puissants. On aura rarement abordé avec tant de simplicité et de sensibilité d’innocents instants familiaux et familiers. Mais, les humains ne sont pas les seuls mis à l’honneur dans cet échantillonnage rare. Les autres êtres de la forêt sont également là. De turbulents chiens accompagnent ainsi enfants et mamans, tandis que les chasseurs rapportent de lourds pécaris ou d’élégants oiseaux victimes de leurs armes. Les femmes parcourent la dense canopée de branche en branche ou trient délicatement les grains écarlates des gousses de roucou pour préparer leur colorant corporel.

Dans les champs de brûlis, les dernières bribes de vie des troncs s’échappent avec les fumerolles du feu qui les rongent. Hors de toute sensiblerie, vie et mort se côtoient ici dans une ode à l’omniprésence du paradoxe en Amazonie.

Par-delà la traversée des charmes de l’existence, cette série révèle une pensée amérindienne qui prône des relations horizontales avec les autres entités de la nature. En effet, les autochtones d’Amazonie donnent une place identique aux humains qu’aux autres êtres de la nature tels les animaux, les plantes, les éléments du paysage que ce soient un rocher, une montagne, une rivière ou tout autre structure à dimension sacrée. Toutes ces entités, qu’elles soient visibles ou cantonnées dans l’au-delà, sont considérées posséder une âme comparable à celle des humains. L’univers amazonien se compose donc d’une mosaïque d’êtres d’apparences variées entretenant des relations complexes d’assistance, d’échange ou de conflit se développant dans un équilibre fragile.

Cette courte visite de la vie équatoriale laisse dans l’esprit du visiteur une douce rêverie bienheureuse bercée de lointain. En fin de compte, cette remarquable exposition dévoile comment l’ethnologue Jürg Gasché a conjugué sa fine connaissance des peuples amazoniens avec l’art du photographe Jacques Desplats pour nous offrir un visage inédit de la plus grande forêt tropicale

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