En savoir plus sur les Secoya du Pérou

Enfants Secoya
Brûlage de la grande chacra

Le village de Bellavista
Situé sur la rive droite de la rivière Yubineto, ce village appartient au district du Putumayo,
province de Maynas, département du Loreto, Pérou.

Secoya, Airo pai, Siekopai, ces trois termes portent l’identité d’un même peuple, un peuple originaire du bassin amazonien, actuellement installé sur les rives de différents affluents de l’Amazone à la frontière entre l’Équateur et le Pérou. Comme la forêt, leur histoire précède ces frontières. Siekopai, le plus utilisé actuellement, est d’inspiration mythologique : il signifie céleste et renvoie aux esprits célestes, Ñañë Siekopai, les ancêtres mythologiques

Culture Secoya
Ces photographies ont été prises au sein de la communauté Secoya de Bellavista, il y a plus de quarante ans. La communauté est alors composée d’une centaine d’individus, dont un grand nombre d’enfants, de quelques familles métisses et des membres de populations voisines. Leurs coutumes sont notamment
caractérisées par le port d’un long vêtement sans manche, la cushma, l’épilation rituelle et l’usage de peinture corporelle rouge.

En dehors des maquillages codifiés liés aux travaux agricoles, les motifs sont constitués de traits fins qui évoquent souvent la beauté céleste tracée sur les visages des « descendants du ciel ». Un rôle essentiel est attribué aux chants cérémoniels. Ces chants sont inspirés par la consommation rituelle d’ayahuasca, puissant hallucinogène répandu au sein des cultures autochtones d’Amazonie, ou de masato, bière produite à partir d’une variété de manioc doux fermenté.

Migration et installation, fruits d’une histoire mouvementée
Le peuplement du village est l’aboutissement d’une migration de communautés autochtones, parties des
abords de la rivière Campuya au milieu du 20ème siècle. L’anthropologue péruvien Jorge Casanova montre que ce déplacement fait suite à un conflit meurtrier avec un collecteur de caoutchouc, coupable de maltraitance. Les indigènes auraient fui la justice péruvienne qui négligeait leur persécution, pour
s’installer à plus d’une centaine de kilomètres au nord-ouest, en contrebas du Putumayo.

Culture sur brûlis & régénération de la forêt
La vie du village est organisée autour des chacras, les jardins, car la subsistance des Secoya est principalement assurée par l’agriculture. La chacra principale est traditionnellement établie sur une large surface de sol continue partagée entre les familles. Les travaux agricoles comme la construction d’une nouvelle maison ou autres tâches conséquentes, s’effectuent avec l’aide de la communauté et des populations voisines. Ces travaux collectifs, ainsi que les célébrations qui leur sont attachées, sont réunis sous un même concept dénommé minga. Dans cette communauté solidaire, l’abattage des arbres, par exemple, est exclusivement réservé aux hommes, tandis que la bière est uniquement brassée par les
femmes.

L’agriculture suit un cycle inauguré en décembre par le défrichage : le premier jour, les hommes s’épilent les sourcils et boivent du masato à l’aube avant de partir choisir l’emplacement du terrain. Avec l’aide des populations voisines, les broussailles sont coupées à la machette puis les arbres abattus. La végétation est
ensuite laissée sécher sur place jusqu’en janvier. Alors, à l’occasion de jours sans pluie, le reste des branchages est brûlé pour achever la préparation du terrain. Les souches de bois carbonisées protègent les sols de l’érosion et, mélangées aux cendres, augmentent leur teneur en éléments nutritifs et favorisent le développement des plantes à venir. Ce même principe explique comment la pratique agricole des Secoya, l’agriculture itinérante sur brûlis, permet de régénérer la forêt dans le temps en fertilisant les sols.

Le terrain est enfin inspecté pour débusquer les nids de fourmis coupeuses de feuilles, après quoi les semis peuvent commencer. Une trentaine d’espèces végétales peuplent les chacras, principalement composées de manioc, de maïs, de patates douces, d’arbres fruitiers, de roucouyer, de goyave, d’arbre à pain et de pifayo. Les plantations sont célébrées par des peintures faciales : les motifs peuvent prendre la couleur des fruits mûrs du pifayo, ou représenter la croissance du maïs. En plus des comestibles, il est possible de trouver des plantes médicinales, des plantes à parfum ainsi que du tabac. Leur organisation tend vers une certaine harmonie : la répartition et la culture simultanée de la plupart des espèces, avec leurs différents besoins en nutriments, réduisent l’épuisement des sols. L’asymétrie des vitesses de croissance et les zones d’ombre déployées par les plantes à feuilles permettent de créer des conditions microclimatiques favorables. La maturité varie également entre chaque espèce, ainsi, l’alimentation est assurée par des récoltes différentes en fonction des périodes. Elle est complétée par des ressources de la forêt, ressources végétales constituées de fruits de palmiers et animales, par la chasse et la pêche.

Le gibier, chassé au fusil, est principalement constitué de pécaris, d’agoutis, tapirs, fourmiliers, tatous, cerfs, paresseux, caïmans. Les Secoya privilégient la sarbacane pour immobiliser silencieusement plusieurs animaux de suite, tels les singes et capturer es oiseaux sans abîmer leurs plumes qui servent à confectionner leurs parures rituelles. Les progénitures des animaux tués sont ramenées et élevées au village, entourées par l’affection des enfants. La pêche est pratiquée à l’aide de pièges, de poisons végétaux en plus de la pêche à la ligne. Les produits de la chasse et de l’agriculture font aussi l’objet
d’échanges avec le poste de police situé à proximité de l’embouchure du Yubineto. Ils sont principalement troqués contre du savon, du sel, des tissus, des fusils et des munitions.

Acculturation & résistance
La population Secoya actuelle sur le sol Péruvien est estimée entre 400 et 500 habitants. Certaines personnes photographiées vivent encore à Bellavista aujourd’hui. Elles occupent des maisons individuelles sur pilotis. La maloca, grande maison commune traditionnelle, à la double fonction d’habitation collective et d’espace consacré aux cérémonies, semble avoir été abandonnée depuis une ou deux générations et ne demeure que dans les récits des aïeux. Malgré la présence d’une église protestante au sein du village, la chrétienté semble n’avoir que peu de place dans la vie de la communauté.

Le village dispose également d’une école primaire et secondaire qui attire les enfants et plus généralement les populations autochtones alentour. L’enseignement scolaire gagne en importance et influence les aspirations des jeunes, souvent tentés par la perspective d’études supérieures à Iquitos ou El Estrecho, par attirance pour le modèle occidental ou pour mieux s’opposer à lui. La dominance globalisée de l’Occident nécessite des dirigeants qui maîtrisent les codes et pratiques des blancs pour toute revendication. À cause de la stigmatisation des pratiques traditionnelles par les évangélistes ou de l’omniprésence de la culture occidentale, ce modèle politique traditionnel, tout comme l’entièreté de l’héritage culturel auquel il appartient, s’apparente progressivement à un souvenir lointain.

Comme toutes les histoires coloniales, celle de l’Amérique latine s’est écrite dans le sang : selon Edouardo Galeano, « elle est une terre aux veines ouvertes », et les peuples de la forêt n’ont pas échappé à cette tragédie. Les épidémies propagées au contact des colons ont décimé la population, et les guerres inter et intraétatiques, ainsi que les exploitations minières locales, ont forcé les communautés indigènes à se déplacer et restreint leur territoire.

Comme pour la majorité des peuples autochtones du bassin amazonien, l’exploitation du caoutchouc à la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle, et les exactions qui l’ont accompagnée, a laissé, dans les mémoires, des souvenirs violents et amers. L’évangélisation, et plus généralement l’occidentalisation effrénée, ont profondément marqué les cultures locales : de multiples pratiques et coutumes, notamment liées aux domaines politique et religieux, domaines intimement mêlés, ont été abandonnées sous l’opprobre de la culture dominante. Les jeunes délaissent les célébrations de la minga, les croyances ancestrales et les chants qui les expriment. Ceux qui chantent encore le font en souvenir de l’époque des
malocas et des fêtes rituelles. Les peintures corporelles ne disparaissent pas mais leur sens se perd ; au-delà du symbolisme, seule la valeur esthétique demeure.

Les communautés Secoya entretiennent un lien vital avec l’Amazone. Aujourd’hui, l’exploitation minière et pétrolière, toujours insatiable, pollue les eaux : la santé des populations se détériore, l’accès à l’eau potable est de plus en plus difficile et de nouvelles maladies émergent. Les Secoya luttent pour protéger leur territoire et leur vie : des systèmes de récupération d’eau de pluie ont été installés, et sont activement entretenus. Les initiatives pour défendre leur culture et leurs droits persistent.


Texte écrit par Alexis Guyard, à partir des archives de Jürg Gasché.

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